Titouf le Rouge

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TITOUF LE ROUGE

 

Pour nous, les hommes de Leif Eriksson, la traversée vers l’inconnu s’annonçait sous les meilleurs auspices. Après avoir quitté les terres désormais trop stériles du Groenland sur lesquelles régnait Erik le Rouge, nous étions en quête d’un endroit où nous pourrions étancher sans entrave majeure notre soif de commerce et de colonisation.

Trop peu de gens connaissent la valeur de la découverte faite par notre équipage ; et c’est volontiers à d’autres marins que l’on attribue la nôtre. Je me rappelle que j’occupais le poste d’éclaireur et comme tous les autres, d’homme à tout faire.

C’était un jour ordinaire de l’an mille de notre ère; un jour dont on ne savait pas par la suite qu’il allait creuser de sillons profonds  le champ fertile de notre détermination, marquer la naissance d’un peuple et la gloire d’un pays. Exilés par la fatalité qui s’acharnait sur notre communauté, notre périple durait depuis longtemps ; aussi, pour nous divertir et oublier les menaces qui pesaient sur notre quotidien, nous avions pris pour habitude de jouer la comédie. Ces doux moments de spectacles nous faisaient oublier la monotonie de notre vie .

C’est lors d’une de ces petites scènes jouées par notre chef que le miracle eut lieu. J’ai retrouvé cet extrait écrit en runes dans le journal de bord tenu par l’annaliste de l’expédition…

Notre navire se déplaçait sur la mer comme un oiseau dans le ciel, et le soleil naissant nous promettait une journée radieuse. Debout vers l’avant du bateau à côté du drakkar, une silhouette petite et décharnée semblait briser la mer en deux. Même le brouillard, encore épais à cette heure matinale, s’écartait du passage de la chose. Du reste, je la connaissais pour l’avoir côtoyée tout au long de notre voyage.  De longs cheveux noirs se détachaient des contours diffus de son frêle corps. Je me souviens de ses yeux emplis de haine, de son sourire narquois. La soif de sang et de violence seule lui dictait sa conduite ; elle terrorisait tout l’équipage, et on ne l’abordait que lorsque l’on ne pouvait faire autrement.

Elle ne devait pas mesurer plus de trois pieds de hauteur ; pourtant, elle était le garant de notre salut, la clef qui allait nous permettre de voyager vers un Asgard terrien en toute quiétude.

Son haleine fétide se trouvait, je crois bien, renforcée par les effluves salées du vent du large ; un signe annonciateur de danger pour quiconque croisait notre chemin.

<<- Par Balder, je trouve la mer bien puante ce matin ; on dirait une fosse à purin ouverte sur l’océan ; oups ! ! ! >> Le regard de la bête tout aussi noir que son cœur, si tant est qu’elle en était pourvue , croisa celui d’Eriksson qui baissa les yeux en la voyant. Quelle guigne !, pensa-t-il, à peine sorti de la cabine et pas moyen de lui échapper, elle savait tout et, à en croire les hommes d’équipage, avait le don d’ubiquité. Seuls les enfants pouvaient s’approcher d’elle sans se méfier ; eux et une autre créature tout aussi démoniaque.

<<Par Locke, vous êtes bien matinal … enfin je veux dire, on ne vous voit pas souvent sur cette partie du landskip ; non, non ce n’était pas un reproche, ce n’est pas ce que je voulais dire, non, bien sur que non que vous n’êtes pas paresseux ; qui donc vous a dit….quoi moi ? ? ?  mais je, je vous en prie ; ne me regardez pas comme ça, vous …>>

Le pauvre homme n’eut pas le temps de terminer sa phrase que la bête, noire comme l’ébène, lui sauta à la gorge. Le contact de sa langue visqueuse et collante lui donna une irrépressible envie de lui vomir à la gueule, mais seul Odin savait ce qu’elle eut fait en retour ; ses griffes le lacéraient tant et plus qu’il crut en mourir.

Le marin ouvrit un instant les yeux et plongea dans le regard de la chose ; on avait beau dire, mais son strabisme impressionnait et donnait le tournis. Regarder le mort en face est une chose possible pour n’importe quel viking, mais comment supporter ce supplice ; quel œil de la bête fallait-il suivre ? Celui qui regardait en bas ou en haut ? Et cet essaim d’insectes, plus dégoûtants les uns que les autres, qui volait au dessus de sa tête, dans l’attente de se repaître des restes de ses victimes. Et puis comment faire abstraction de ses crocs ?

Par Thor, ils étaient noirs et il en manquait tellement …

Leif se demanda comment les Ases avaient bien pu créer un petit être aussi laid. Comme quoi la nature peut être affreusement belle même dans sa laideur la plus extrême.

Alors que cette pensée le traversait, l’ignoble avatar des dieux courroucés remua le petit bout de sa queue, ventilant par la même l’odeur infecte et tenace qui se dégageait de son corps.

Le pet tonitruant qui suivit coupa net l’instant trop rare de concentration de l’animal. Il se retourna vers le coupable et, ne voyant personne, fixa le ciel puis l’immensité de l’océan avant de s’asseoir. Le tonnerre n’eut pas fait plus de bruit lorsque cela se reproduisit pour la seconde fois. On vit hommes, femmes et enfants sortir en trombe de la cabine commune du navire ; la peur d’une fin tragique se lisait sur leurs visages. Les mères serraient leurs enfants contre elles, et les hommes, résignés, arboraient la mine des tristes jours.

La créature huma l’air puis fronça les sourcils. Le regard interrogateur et indigné qu’elle s’efforçait de prendre laissa à penser qu’elle réalisait que son séant était le fautif. Elle se mit à tourner sur elle même avec la ferme intention de se mordre la queue. Les rayons du soleil se levèrent à cet instant et tous se mirent à rire en reconnaissant Titouf le Rouge.

Ce qui se rapprochait, avec beaucoup d’imagination, à un canidé, tournait à ne plus pouvoir s’arrêter. Sa petite queue remuait comme si sa vie en dépendait, à croire qu’elle était douée d’une intelligence propre et d’assez de bon sens pour vouloir échapper aux crocs de son imbécile de tête. En guise de drapeau blanc, le derrière du chien laissa fuser un grelot noir et puant sur le pont ; émissaire de l’état de pourrissement avancé de ses entrailles.

Les poils du chien , aussi longs que des crins de chevaux, voletaient tout autour de lui .

L’animal ne s’arrêta que lorsque qu’il trébucha dessus et que le casque surmonté de deux cornes de bovin dont on l’avait affublé lui tomba sur les yeux.

La bête immonde gronda alors, tant pour marquer sa désapprobation que pour encourager les bravos qui commençaient à fuser de toute part.

Soudain, le silence se fit ; un passage s’ouvrit alors que s’approchait de la scène miss Couic Couic. Tout le monde la craignait pour sa sournoiserie et pour la cruauté dont elle faisait montre à l’égard des rongeurs du navire. Elle aimait se promener sur le pont en arborant un collier de têtes réduites de souris autour du cou.

Réveillée par tout ce charivari trop matinal à son goût, elle jaugea rapidement la situation, et un mauvais rictus illumina son visage.

D’un pas trop majestueux pour être franc, elle s’avança vers le petit animal qui, ne voyant plus rien se demandait pourquoi son public auparavant si encourageant s’était tu. Il se mit donc en devoir de ranimer la flamme du spectacle qui brûlait dans son cœur de comique troupier.

 

N’étant pas prévaricateur lorsqu’il s’agit de rigoler un bon coup, il tourna la tête vers la droite d’un mouvement sec et rapide, puis de l’autre coté. Le casque, qui lui arrivait au niveau du poitrail, tourna dans le sens inverse et fit d’interminables rotations, provoquant l’hilarité générale.

Miss Couic Couic, jalouse de ce succès, profita de l’euphorie collective pour se rapprocher du bastingage. Elle sortit les griffes et donna un coup de patte dans l’eau.

Un poisson volant, effrayé par cette intrusion, sauta vers la proue du bateau et atterrit violemment dans la face du malheureux Titouf ; son casque vola dans les airs pour retomber sur la tête de Leif.

Devant cette injustice flagrante, le petit chien fonça droit sur le félidé avec l’intention de lui faire expier sa faute ; le priver de sa chute en pleine gloire ; le métier de comique n’était plus ce qu’il était et la censure incisive se faisait de plus en plus désagréable.

 

Alors que ses yeux essayaient de fixer  sa cible, un cri se fit entendre dans le ciel ; encore un enquiquineur pensa le chien avant de continuer à courir ; si même les dieux sont contre moi…

Son strabisme aidant, il ne remarqua pas la crotte qui, quelques instants plus tôt, était encore sa propriété ; pas plus qu’il ne vit le guano de la mouette lui tomber sur la tête. Il glissa sur sa propre engeance et manqua sa cible de deux mètres à peine. Arrivant au niveau de miss Couic Couic, il la regarda comme quelqu’un qui s’attend à ce que son action héroïque soit consignée dans les annales. Dans ses yeux barbouillés de fiente, son adversaire lut de la résignation et de l’incrédulité.

Privé de son sens le plus développé ( c’est dire les ressources de l’animal ) et acteur involontaire du théorème qui affirme qu’un corps qui glisse ne s’arrête pas comme il le veut, Titouf le comique vit les limites du landskip se rapprocher dangereusement. Il franchit le bastingage et tomba à l’eau.

Tel le phénix qui renaît des ses cendres, le chien remonta à la surface, un poisson dans la gueule et une algue en guise de chapeau. Il salua d’un hochement de tête son public qui l’applaudissait à tout rompre. Dans la liesse collective que je partageai avec l’équipage, je vis Eriksson plonger pour récupérer le chien qui par ailleurs, commençait à montrer des signes de fatigue.

Ce n’est qu’en remontant que je remarquai son sourire.

<< Mes amis !  s’écria-t-il ; - ces animaux sont nos protecteurs et les envoyés des Ases ; il prit l’algue et le crabe qui avaient élu domicile sur le pois chiche de Titouf et les brandit :

- Regardez, mais regardez donc ! ! vous ne comprenez pas ? ! ! cette algue, ce crabe, sont autant de signes qui prouvent que la terre n’est pas loin. Par Freya, regardez là-bas … >>

Nous tournant, nous vîmes derrière nous une langue de terre se profiler à l’horizon.

<<  La terre ferme enfin…  répéta Leif. >>

Nous venions de découvrir ce qui deviendrait l’Amérique.

Titouf se remit sur ses pattes, et dégoulinant, s’approcha de miss Couic Couic. Celle-ci riait depuis qu’elle avait vu le petit chien glisser sur le pont comme sur une planche à savon. Le clown de service lui fit son plus beau sourire de ses quatre bouts de chicots noirs, se retourna, et émit un vent naturel aussi rafraîchissant que la brise qui s’échappe d’un charnier de charognes.

Un homme remit sur la tête du contemporain de Christophe Colomb le casque de bovin dont les enfants l’avaient coiffé et l’équipage tout entier l’acclama.

Fin…

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Dernière mise à jour : 05/06/05