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LE PRIEURE DE CES
DAMES
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Mince alors, une traînée de sang…
Sur le carrelage du couloir qui mène au réfectoire, sœur
Marie Thérèse commence à paniquer. Laquelle de ses disciples a-t-elle oublié
de mettre une petite culotte.
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- Je sais bien que c’est la pénurie en temps de guerre,
mais quand même, il ne faut pas exagérer. Ah, seigneur, ces filles me
rendront folles…pense-t-elle. |
De la pièce voisine, on crie plus que l’on chante le
refrain d’un psaume : " Alléluia, allélouuu alléluia … "
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- Par le christ, c’est pas vrai qu’elles vont remettre
ça. Déjà l’heure de la messe de dix neuf heures, tant pis, je ne
participerai pas à celle-ci. Mes oreilles ne pourraient pas en supporter
davantage de toute façon. |
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- Bigre, les traces zigzaguent dans tout le corridor ;
étrange. Et tiens, encore une, plus ténue cependant. |
Non, apparemment, ce n’était pas ce qu’elle avait soupçonné de prime
abord.
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- Sacrebleu, ça alors, le mur lui aussi est constellé
de sang. Qu’est ce que cela peut-il signifier ? encore une blague idiote
de cette écervelée de Bernadette ? ah, mais cette fois, ça ne se passerait
pas comme ça ! Elle irait en référer à la mère supérieure, et il y en a
une qui se fera tancer vertement, hi hi ! !, bien fait pour elle, ça lui
apprendra. |
- " Alléluia, allélouuu alléluia , Seigneur
miséricordieux, je ne suis pas digne de te recevoir mais dit seulement une
parole et je serai guérie. Alléluia, allélouuu alléluia ! ! ! "
D’un pas décidé, sœur Marie Thérèse prend la direction du
bureau de la mère supérieure.
" VRAOUUUMMM…TATATATATA….. "
- Oh, mais elle ne finira donc jamais cette chienne de
guerre ?… Sainte Marie veillez sur nous. Mince alors, pense Sœur Marie
Thérèse, quelle guigne, voilà la lèche- botte.
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Ah ! sœur Marie Cécile, vous tombez bien. Savez vous où
je pourrais trouver la mère supérieure, j’ai à m’entretenir avec elle de
choses importantes. Où ça ? dans la chapelle dites-vous ? Oh, tant que je
vous tiens, vous savez que … |
Mais déjà sa consœur s’en retourne vaquer à ses
occupations sans plus s’occuper d’elle.
Merci sœur Marie Cécile, à bientôt sœur Marie Cécile, ne
prenez pas froid sœur Marie Cécile, ce fut un plaisir sœur Marie Machin,
cause à mon… sœur Marie Cécile. Jamais pu la sentir celle là, avec son air
de sainte nitouche.
Encore plus remontée, Marie Thérèse reprend la direction
du couloir et bifurque à droite.
Sur sa gauche, elle entend les prières que l’on psalmodie
dans des aigus aussi haut que la ferveur de ces femmes de foi :
" Notre sauveur nous délivrera, vive le
rédempteur Alléluia, allélouuu alléluia ! ! ! "
Elle s’arrête quelques instants et prête attention au
chant.
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Mais c’est vrai qu’elles chantent comme des casseroles.
Il faudra que j’en fasse part à sœur Marie La Fôret… |
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Tiens, là aussi il y a des traces de sang. Il faut
vraiment que j’en parle à la mère sup. Oh ben ça alors, la porte de la
chapelle commune est ouverte ; mais qu’est ce qu’il se passe ici à la
fin ? Toc toc toc… |
Sœur Marie Thérèse, plus par crainte de s’attirer les
foudres de sa supérieure au cas où elle la dérangerait dans sa sieste que
par politesse, frappe à la porte. Bizarre, pas de réponse.
 | Il y a quelqu’un ? |
Toujours rien. La bonne sœur panique sérieusement.
Elle prend son courage à deux mains, porte son chapelet à ses lèvres, et
pousse la porte.
Personne ? ah si, là bas....
Vers l’autel se tient une petite forme qu’elle ne
parvient pas à identifier. Non, on dirait plutôt qu’il y a deux formes. Au
fur et à mesure qu’elle se rapproche, sœur Marie Thérèse sent le froid la
parcourir. La scène qui se déroule à présent sous ses yeux et d’une cruauté
rarement égalée. La servante du christ ne peut s’empêcher de porter ses
mains à ses lèvres ; elle voudrait bien crier, mais l’effroi qui la glace
l’en empêche.
Devant elle, au pied de l’autel de dieu, un petit chien
de couleur fauve joue avec le corps décharné d’une souris. L’animal,
nullement inquiété par la présence de sœur Marie Thérèse, lance le petit
rongeur en l’air. Celui-ci retombe mollement sur le sol et c’est la curée ;
à côté du chien, une chatte au pelage noire et blanc s’apprête à passer à
l’attaque. Son arrière-train s’aplatit, elle sort ses griffes, fixe sa proie
et se rue sur le mort. D’un coup de patte bien placé, elle envoie la
carcasse valdinguer contre le mur. Un traînée de sang macule les pieds de la
statue de Saint François d’Assise et le petit chien décide de
contre-attaquer. Il remue la queue, imite sa comparse en s’aplatissant, et
se lance à pleine vitesse sur les restes du corps.
Beaucoup moins doué qu’elle, il glisse sur le carrelage
et manque sa cible mais pas le mur qui lui fait face. Sa tête vient heurter
la statue de Saint François, qui reste de marbre malgré les événements. La
violence du choc est telle que trois quenottes appartenant au dénommé Titouf
volent dans les airs. Miss Couic Couic est hilare. Titouf, en bon compagnon
d’aventure qu’il est, se force à rire lui aussi de sa malchance.
Un filet de sang s’échappe de sa gueule ; il ferme
quelques instants sa bouche, racle le fond de sa gorge et crache un glaviot
en même temps qu’une autre de ses chicots. Son sourire béat s’ouvre sur un
trou béant.
Miss Couic Couic profite de ce prélude pour se saisir de
la souris. Jugeant que l’on ne doit pas s’amuser avec la nourriture, elle
plante ses canines dans la chair tendre de sa victime, et d’un coup sec,
fait sauter la tête du rongeur qui retombe aux pieds de la pauvre bigote.
C’en est plus qu’elle ne peut supporter. Marie Thérèse
retrouve l’usage de la parole et pousse un hurlement qui se répercute jusque
dans la cour du prieuré. Alertée par les cris, toute la communauté est
bientôt réunie dans la chapelle sous la direction de la mère supérieure Darale, très en colère d’avoir été ainsi dérangée.
 | Que diable signifie toute cette agitation ? Expliquez vous ma sœur. |
Sœur Marie Thérèse, réconfortée par la présence de cette
sainte femme, tend un doigt accusateur vers les coupables et la victime.
 | Là, ma mère, regardez… |
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Que font donc ces animaux ici ? aucune présence
étrangère de quelque forme que ce soit n’est tolérée dans l’enceinte de
ces murs. Qui les a fait entrer ? |
La mère supérieure étant une femme de caractère,
s’approche des assassins avec la ferme intention de les chasser du lieu
saint.
Alors qu’elle se rapproche des
deux païens, un bruit sourd se fait entendre :
Marie Thérèse s’exclame ;
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- Oh, ma mère ! ! ! |
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Ma sœur ? |
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Vos pieds… |
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La paix ! |
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La tête… |
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Assez ! |
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Mais enfin, ma mère, regardez vos sandales toutes
crottées ; vous marchez sur la tête de la souris… |
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Ah, mon dieu ! ! |
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Où ça ? répond une religieuse particulièrement
intelligente. |
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Suffit ! excédée, la mère supérieure ordonne aux autres
membres de sa confrérie de se retirer dans la salle des repas. |
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Sœur Marie Thérèse, puisque c’est vous qui les avez
trouvés, aidez moi à chasser ces suppôts du malin. |
Titouf et Miss Couic Couic, évaluant rapidement la dangerosité de leur
situation, décident de se réfugier sous l’autel consacré.
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Saperlipopette, ils vont nous faire tourner en
bourrique, ne peut s’empêcher de dire tout haut la mère Darale. |
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Prenez les par la droite, je les prends par la gauche.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Titouf et Miss Couic Couic allaient passer
un mauvais quart d’heure. |
 | Ah ah mes coquins, on vous tient cette fois… Mais qu’est ce
que ? |
Sitôt qu’ils ont vu les nonnes se rapprocher d’eux, les deux amis rampent
sous l’autel.
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Attendez voir, je m’en vais vous déloger de là moi,
vous n’avez pas honte de vous cacher sous un
édifice sacré ? |
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Non pourquoi ? |
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Qui a parlé ? c’est vous sœur Marie Thérèse, |
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Non ma mère, j’ai cru que cela venait de vous. |
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Allons, ne soyez pas stupide ma sœur. |
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Mais alors, de qui cela peut-il venir ? |
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De moi ! répondit une voix provenant de la
cachette des deux compères. |
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Qui que vous soyez, sortez de là. Je vous préviens,
nous sommes nombreuses et nous savons nous défendre. |
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Un instant, laissez moi sortir de là-dessous.
Bientôt, le corps d’un homme apparut. Toujours perspicace, la mère
supérieure mena l’interrogatoire. |
 | Vous êtes qui vous ?qu’est ce que vous faites ici ? ils sont à vous
ces deux animaux tout pouilleux ? |
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Eux ? oui. Ce sont mes sauveurs en quelque sorte.
Ils m’ont mené jusqu’ici alors que j’allais être pris par une patrouille
allemande. Je suis un résistant recherché par les allemands. Mon nom de
code est Bozambo. |
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Mais vous ne pouvez pas rester ici, c’est trop
dangereux pour nous. |
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Vous inquiétez pas ma sœur, je… |
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Ma mère s’il vous plait |
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Ma mère si vous préférez, je repartirai à la nuit
tombée. |
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Ah mais non, si ça se trouve, vous êtes suivi |
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- Mais enfin, essayez de comprendre, il faut
absolument que je rallie Londres le plus tôt possible ; c’est capital pour
l’évolution de cette guerre. Je dois transmettre des informations
importantes sur la Luftwaffe qui pourraient bien changer la donne. |
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Je vous dit que c’est impossible ; vous ne pouvez pas…. |
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Mère Darale, mère Darale ! ! ! |
Sœur Marie Cécile courre comme si le diable était à ses
trousses.
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Que se passe-t-il encore sœur Marie Cécile ? Je croyais
vous avoir dit de m’attendre dans la salle commune ! ! ! |
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Des allemands, halète-t-elle, plein d’allemands ; ils ont
enfermé les autres sœurs dans le réfectoire et viennent par ici… |
Un bruit de cavalcade se fait entendre dans les couloirs.
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Vite, cachez vous sous l’autel ! ! ! vite ! ! ! |
Déjà un commando entre dans la chapelle commune et met en
joue les trois religieuses et le soldat. L’officier fait de l’humour dans un
mélange de langue de Molière et de Goethe :
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Ze n’est pas la peine douce petite fraulein ; nous
zommes déjà là. Dommage pour vous ; je crains forte que vous ne donnerez
pas les microfilms à leur desdinazaire jeune Boozambooo...Vous allez tous
mourir, ah ah ah ah ! ! ! |
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On dit Bozambo ! rétorque le résistant |
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Espèce de …s’emporte sœur Marie Thérèse |
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Aufwiederzehen tout le monde ! ! ! |
Ce disant, l’officier dégoupille une grenade et la lance
sur le groupe. Au pas de course, lui et sa troupe courent se mettre à l’abri
dans la pièce contiguë.
La grenade atterrit à deux pas de Titouf. Les nonnes et
le soldat se regardent. Que faire ? Il est trop tard pour chercher à fuir,
et avec des armes pareilles, l’on n’est jamais à même de savoir lorsqu’elle
explosera.
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- Prier, il ne reste plus qu’à prier pour un miracle
mes sœurs, professe la mère supérieure. |
Tandis que Miss Couic Couic vient se frotter dans les
jambes de Bozambo, Titouf observe la grenade. Ce bout métallique vert lui
rappelle quelque chose. C’est pas tout à fait aussi rond, ça n’a pas la même
odeur, mais Titouf jurerait que ça ressemble quand même à sa baballe.
Avec toute la fierté dont il peut faire preuve lorsqu’il
se sait observé ; il s’avance comme Artaban vers l’arme dégoupillée, bien
décidé à faire joujou avec.
Miss Couic Couic décide qu’il ne la tiendra pas à l’écart
d’une bonne partie de jeu. Toujours en compétition avec le canidé, elle
s’élance une nouvelle fois et tape la première dans la grenade qui
s’immobilise sur le pas de la porte. Offusqué, Titouf surenchérit et fonce
sur l’arme. Il la prend dans sa gueule puis regarde à droite et à gauche. De
chaque côté de lui se trouvent des personnes qui voudront bien, il en est
persuadé, jouer avec lui. Choix cornélien pour une petite tête :
A gauche, les hommes en vert, à droite, les femmes en
robes noires. Lesquels choisir ?
Alors qu’il réfléchit à la question, il voit miss Couic
Couic s’approcher de lui en minaudant. Plus malin qu’un singe, le chien,
pour bien la connaître, saisit d’emblée son intention de lui piquer la
balle. Il court donc droit sur les gens en vert :excellent choix s’il en est
puisque ceux ci l’encouragent avec des cris et des signes qui ne trompent
pas.
Quand le public est là, Titouf fait de véritables
prouesses. Il se sent pousser des ailes, il exulte et arrive à toute vitesse
sur le monsieur qui l’exhorte le plus fort.
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Marrant avec ta casquette noire toi, se dit le chien.
Tiens, je vais te la donner. Je cours là bas et tu me la lances,
d’accord ? tu veux bien ? |
Titouf repart aussi vite qu’il est venu et s’assied aux
pieds de la mère supérieure en attendant la balle. Miss Couic Couic préfère
attendre elle aussi la balle arriver plutôt que d’aller la chercher. Malin
hein ?
BAOUM….
Une terrible explosion se produit et les cris se taisent.
Titouf penche la tête pour mieux voir arriver la balle, mais au lieu de
cela, c’est la casquette du gentil monsieur qui atterrit sur sa tête.
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Qui a éteint la lumière ? ? demande-t-il tandis que
miss Couic Couic se tord de rire. |
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Vite mes sœurs, montrez moi la sortie la plus discrète;
un miracle ne se répète jamais deux fois. |
Les religieuses éberluées, opinent toutes du chef et
conduisent Bozambo vers une la porte du jardin à l’abri de tout regard
indiscret.
Le résistant prend les deux animaux sous ses bras et les
emmène avec lui. Avant de partir, il se retourne vers la mère supérieure
 | Merci ma sœur, grâce à vous, on va peut être gagner la guerre ;
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et dans un élan fougueux, il s’enhardit et embrasse sœur
Marie Thérèse qui s’empourpre. Elle regarde cet espoir de la France
s’éloigner d’elle dans la nuit noire avec, pour toute chance de s’en sortir
vivant, un chien déguisé en nazi et une chatte pliée en deux.

Fin… |