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Le doux bruit des flocons de neige qui s’entassent dans Central Avenue invite Titouf à la paresse. Allongé sur le flanc, le petit chien goûte aux joies de se réchauffer près d’un bon feu de cheminée. Ses paupières laissent encore percer jusqu’à sa rétine les images floues d’un monde jovial où la misère côtoie la richesse, où la compassion et l’amour ne sont que vaines illusions, lanternes d’un espoir où viennent se consumer les ailes diaprées des papillons de nuit, même le 24 décembre. ( y a pas ; Bach, c’est bath pour foutre le bourdon ). La rue éclairée de mille feux est magnifique à voir ; les gens se hâtent de rentrer chez eux en cette fin d’après midi. Tous arborent cette mine si particulière des gens heureux. Titouf peut voir sur leurs visages la joie se dessiner ; c’est beau le joie, c’est gros comme une bouche en cul de poule ; c’est rond comme les lèvres des enfants qui s’émerveillent, c’est chaud comme le tendre baiser que ces deux amoureux sont en train de s’échanger ; c’est…. PLATCH ! ! ! Allons donc ; encore ces maudits gamins qui lancent des boules de neige sur les fenêtres des maisons. Quand la patronne va s’en apercevoir, y’en a qui ont du souci à se faire ; ah ! ! ! folle jeunesse… POP… Titouf détourne son attention de dehors pour mieux observer ce qui se passe chez lui :
Titouf allait fêter son premier noël dans sa famille d’adoption ; Il repense à cette année écoulée. Un an déjà. Comme le temps passe vite. Il laisse échapper un soupir de contentement ; que de progrès accomplis, c’est indéniable, dans sa compréhension personnelle de la vie de chien. Et pourtant tant de nouvelles choses à découvrir, promesses d’un éveil et d’un enchantement perpétuels… Pâté à telle heure, crottes et pipi ici et là ; caresses quand il faut, parfois des joujoux. Aboyer quand vient le facteur, faire le pitre pour amuser la galerie, leur faire croire qu’ils sont uniques, qu’ils sont les meilleurs et qu’ils sont les plus beaux dans ce monde de laideur ; croquettes, luttes avec le chat et journal sur le cul quand y a des conneries de faites ; bref, la vie de chien… Re soupir… C’est d’un ennui en fin de compte la vie de chien dans Central Avenue. Toujours recommencer chaque jour ce qui a déjà été fait la vieille, faire l’étonné dans ce grand rôle théâtral qui vous colle à la peau. Ce décor que rien ne peut altérer... " The first Christmas "de Bing Crosby en sourdine, le crépitement du feu qui se meurt tandis que l’alcool des premiers apéritifs réchauffe les corps. Au milieu du salon trône un sapin de haute taille. Du haut de sa cime, le lutin de service vient faire la risette à madame l’étoile. Une prise de courant lui sort des fesses et l’illumine de ses 50 watts. L’indélicat a les joues écarlates, et le gêne causé par son embarras et par la chaleur ambiante, le font ressembler à un homard sauce armoricaine. De guirlandes et de boules décoré, le roi de tous les sapins parade dans la plus parfaite immobilité. Qu’il est beau, qu’il est grand. Il s’est invité au milieu du living et personne ne s’en émeut…faut dire que c’est rien que du plastique maintenant les sapins; c’est moins salissant et ça ne détruit pas les forets. Et pour consoler votre pauvre petit cœur d’artichaut en cette vieille de fête chrétienne, on vous file gratis un sac à sapin pour le renfermer ; en plus, pour vous permettre de faire votre bonne action annuelle, dix pour cent de la vente du sac est reversé à des œuvres caritatives. C’est y pas beau ça ma p’tite dame ; mais bien sur qu’on vous l’emballe avec du papier bleu, y a qu’a demander…c’est ça noël…
Voilà ma pt’ite dame, c’est tout ce qui vous faudra ? ben écoutez, pour les doléances, on se revoit l’année prochaine si ça ne vous dérange pas, parce que je viens d’épuiser mon stock de compassion qui m’était dévolu pour l’année, allez, à 2004 ma p’tite madame, et joyeux noël ! ! ! Titouf cesse de penser tout bas et se retourne sur l’autre flanc histoire de cuire comme une parfaite paupiette de veau. Miss Couic Couic le regarde de ses yeux verts émeraude. Le petit chien estime qu’il est temps de rigoler un peu en ces temps de fêtes. Leur panse à tous deux est copieusement étirée, et Titouf s’amuse à faire des plis avec son bidon ; il se met à fredonner :
N’obtenant de sa part aucune réponse encline à amorcer une discussion amicale, il décide de s’adresser au maître de maison. En parfait gentleman qu’il est, le petit chien, délicat comme un bouton de pétunia au mois de mai, s’exprime de la façon la plus triviale afin d’être compris de tous.
Y a rince m’y et rince moi qui sont sur un bateau, et manque de bol, y’en a un qui tombe au jus dis donc ; pas de chance hein ? ? ? Non plus ? Toujours pas ? Moi vouloir eau qui pique… vouloir glouglou ; toi y en a capici ? dondé comprendé ?
Ledit Titouf s’avance en effet prudemment du liquide renversé par mégarde. Il hume l’air, renifle les odeurs, se concentre puis lape. Pas de doute possible, c’est acre, ça pique, dégueux en bouche, pas de finition ; c’est bien du don Pérignon. Passablement éméché par la rencontre du troisième type avec la bouteille de champagne, Titouf déblatère à tire larigot des inepties propres aux personnes fortement alcoolisées un soir de noël. La maîtresse de maison l’interrompt ; - Allons les enfants, il est temps de passer à table. Venez tous à la salle à manger, l’émission spéciale de noël va bientôt commencer et je ne veux pas la rater cette année ; marre des invités de dernière minute. Rosalie, si quelqu’un sonne à la porte, vous voudrez bien l’éconduire et le reconduire avec le plus de fermeté possible ; suis-je drôle non …l’éconduire et le reconduire…non ? bon tant pis.
Le salon déserté, Miss Couic Couic se lève de sa couche. Magistrale, gracieuse incarnation de la parfaite beauté animale, elle contemple l’épave qu’est devenu Titouf le petit chien. Le bougre vire à droite, à gauche et soliloque à qui mieux mieux :
Et le voilà de brailler :
Le canidé n’a pas le temps de finir la chanson qu’il s’écroule ivre mort sur le tapis. Miss Couic Couic juge comme Stanislas Lefort que l’entracte lui a donné faim et soif. Elle soulève le tapis du salon, débusque la capsule du champagne et s’en sert comme d’un monocle. Après quoi, avec comme accompagnement les ronflements sonores de Titouf, la voilà qui se met en quête d’un reliquat de caviar et de champagne ; histoire de continuer les agapes dans les meilleures conditions. Parvenant sans trop d’efforts à trouver ce dont elle a besoin en cette vieille de noël, elle s’allonge sur le tapis persan ( on est chat ou on ne l’est pas ) et en grande starlette d’un soir qu’elle est, déguste son festin. Hum… les molécules d’iode, libérées des œufs d’esturgeons lorsqu’elle les croque, viennent agréablement titiller ses papilles très sensibles. Et ce champagne qui dévoile ses charmes les plus secrets ; le nectar frappé renferme des arômes fruités et aériens qui viennent s’unir au caractère sauvage de toute la mer Caspienne. Les saveurs se mélangent dans la bouche en libérant les bulles d’alcool, renforçant l’ivresse de la dégustation ; c’est un rêve éveillé, la communion terrestre de l’orient et de l’occident, l’acmé de la fusion charnelle, c’est le paradis de miss Couic Couic. Ah…. Une vague de plaisir traverse le corps du gourmand gourmet ; le monocle tombe, vient rouler sur le tapis avant de finir sa course devant la truffe du chien. Epuisée par toutes ces émotions, la chatte sombre elle aussi dans un sommeil haut en couleur. Elle est belle, il fait beau. Les troupes sont assemblées selon un ordre strict, héritage de la tradition militaire. Un porte étendard présente chaque compagnie qui vient défiler devant-elle. Toutes les petites têtes des soldats souris se tournent lorsqu’ils la croisent, elle, la Général. Son regard fiévreux contemple cette force qui est à ses ordres; des milliers et des milliers de rongeurs prêts à satisfaire le moindre de ses désirs. La tentation d’en croquer quelques uns est très forte. Sabre au clair, la Général va devoir faire une sélection impitoyable ; mais en parfait officier qu’elle est, elle sait prendre les décisions qui s’imposent lorsqu’elles s’imposent. Le passage en revue des troupes commence… Des têtes volent ; c’est la débandade dans les rangs; la chef argue qu’ici des chaussures sont mal cirées, des cheveux trop longs, des moustaches pas assez frisées… aucune résistance n’est opposée ( on ne peut pas dire grand chose quand on est la grande muette ) . C’est la curée, elle sent le sang gicler sur ses moustaches ; ce sentiment de supériorité accroît sa volonté de tous les tuer ; pas de quartier… La mêlée fait rage, les corps s’entrechoquent, se dévorent, se percutent, se tirent les moustaches, se… du bruit… pas ce que c’est ! ! ! se tirent les poils. Il n’y aura pas de survivant en cette belle journée. La place d’arme ressemble à une boucherie.
Miss Couic Couic ouvre les yeux. Quel est l’insecte qui a pu avoir l’indélicatesse de la sortir de ses rêves ? La chatte ouvre prudemment le deuxième oeil. Le gentleman qui l’a réveillé la regarde avec un sourire en coin ; il est fier d’arborer le monocle qu’il a trouvé à son réveil devant lui.
Il est vrai que Titouf commence à voir double avec sa trouvaille, mais il est trop fier d’être parvenu, pour une fois, à attirer l’attention de la chatte. Il continue à déambuler devant elle en lui lançant à l’envi des clins d’œil persévérants. Miss Couic Couic n’aime pas du tout être réveillée le soir de noël alors qu’elle est dans les doux bras de Morphée ; elle juge que la grâce affectée avec laquelle Titouf joue les dandys a assez duré. Pourtant, le canidé, en petit cabochard qu’il est, vient parfaire sa panoplie en mettant sur sa tête un de haut-de-forme bien trop petit pour lui qu’arborait une créature du sapin.( il avait vu faire ça dans la belle et le clochard ). Miss Couic Couic se lève du tapis persan. Elle s’étire et ferme un instant les yeux ; ses griffes sortent tels des poignards de ses pattes, faisant craindre le pire à Titouf. La chatte elle aussi entend du bruit. Son ouie, bien plus développée que celle du petit chien dont les écoutilles sont autant de ruches servant de resto aux mouches à miel, distingue parfaitement des pas sur le toit de la maison. Les animaux se dirigent vers l’âtre de la cheminée où le feu flamboie encore malgré l’heure matinale de ce 25 décembre. Les bruits se rapprochent, comme si quelqu’un s’amusait à marcher avec un gros paquet sur le toit.
Miss Couic Couic n’a pas le temps de finir sa phrase que, comme par magie, le feu s’éteint. Les deux animaux entendent parfaitement maintenant que la personne est en train de s’engouffrer par la cheminée. Intrigué, Titouf penche sa tête vers la gauche, miss Couic Couic vers la droite. Leurs regards se croisent ; chacun peut lire dans les prunelles de l’autre la peur se dessiner.
Puis, d’un commun accord, Titouf jette le premier un rapide coup d’œil dans le conduit de cheminée.
C’est la débandade, l’hallali est sonné. Les deux compères s’enfuient comme une envolée de moineaux et courent se réfugier derrière le canapé.
Mais déjà l’apprenti zéro revient avec dans sa gueule le haut-de-forme qui lui faisait défaut.
Les deux amis se positionnent de façon à pouvoir observer la cheminée sans être découverts. La marmelade rouge surgit soudain de l’âtre en poussant un cri affreux : HO HO HO ! ! ! Puis la bête s’accroupit et farfouille dans son grand sac qui lui sert à enlever sans doute ses proies innocentes. Titouf et miss Couic Couic sentent le froid glacer leur sang. L’engeance immonde est grosse, joufflue et ventripotente. Sans doute le dernier carnage qui a du mal à passer, pense le petit chien. La chatte se sent le devoir de prendre l’initiative ; face à ce monstre, l’attaque étant la meilleure des défense, elle échafaude un plan de secours.
Et voici Titouf paré de son haut-de-forme noir qui déboule comme un feu follet vers l’intrus. Avec son beau chapeau, il ressemble à …à rien. Il jappe autant qu’il le peut et décrit des cercles concentriques autour de sa proie afin de mieux la déconcentrer. Décontenancé, le monstre l’est en voyant cette boule de poils hirsute fondre sur lui comme une furie. La fraise taguada se redresse ; Titouf en profite pour cibler l’avatar de Satan ; il va lui porter l’estocade. Les deux grosses parties charnues dont la bête est pourvue semblent être de premier choix ; on dirait des pommes d’amour géantes. Le canidé plonge tête la première et mord à belles dents. Le monstre pousse un hurlement de douleur qui effraye Titouf ;
Titouf penche la tête et se met à quatre pattes ;
Miss Couic Couic sort de sa cachette et vient renifler le morceau de tissu rouge sanguin que Titouf garde dans sa gueule comme trophée de sa prise.
Le grand gaillard rouge se relève et glisse sur le monocle de Titouf pour retomber lourdement avec perte et fracas sur le dos…
Puis il se met sur son séant et considère d’un drôle d’œil les deux compères qui se présentent devant lui. La larme à l’œil, il s’adresse à eux dans un langage inintelligible pour tout autre être humain :
Et miss Couic Couic de surenchérir :
La grosse fraise taguada commence à ne plus se sentir à l’aise avec ces deux animaux, trop humains peut être…
La fraise taguada repartit par où elle était venue, avec un lambeau de tissu en moins au fond de sa culotte.
Le petit chien en a la larme à l’œil ; il ferme les yeux pour apprécier ce contact qui scellera pour l’éternité leur communion voulue des dieux, et tend la joue en vue d’y recevoir le baiser de la paix et mime un tendre bisou en retour ; Miss Couic Couic se rapproche de Titouf ; elle voit le charmant petit chien fermer les yeux, son monocle sur l’œil et son bitos de travers. Douce image d’évangile en cette nuit de l’enfant jésus…elle s’avance vers lui, sort ses griffes, et d’un geste motivé par l’atavisme hérité des prédateurs de la plaine, griffe le gentleman. La peine plus que la douleur réveille Titouf, encore quelque peu anesthésié par les vapeurs d’alcool et par la beauté de voir son désir le plus cher se réaliser. Une larme coule le long de ses babines, le monocle tombe et vient se briser contre la table du salon. Pauvre petit chien, lui qui croit encore à la féerie, à l’esprit de noël, le voilà tout chagriné. Désormais, il le jure, il ne fera plus preuve d’aucune pitié, n’éprouvera plus de remord. La rédemption et la miséricorde ne seront plus sa loi. Ses yeux lancent des éclairs, la colère le gagne, elle l’appelle, toutes les fibres de son petit corps tremblent d’une émotion et d’un sentiment qu’il n’a jamais éprouvé de toute sa chienne de vie.
Miss Couic Couic, de guerre lasse, ne relève pas le dernier jeu de mot inapproprié de Titouf et s’endort sans plus de forme. Le petit chien jette un dernier regard par la fenêtre ; le jour se lève et il neige. Dans la rue, tout est calme. Voilà Bing Crosby qui remet le couvert en chantant " my first Christmas ". Titouf pousse un énième soupir et s’endort lui aussi en rêvant déjà à la grosse paire de fraises taguada qu’il retrouvera l’année prochaine. Fin… |
Dernière mise à jour : 05/06/05