Vive le Roi

 

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VIVE LE ROI

 

20 juin 1791 " Vive le roi ! ! "…

Pour un exil forcé qui se voulait le plus discret possible, le roi pense que c’est raté ; que faire d’autre ? autant courir le risque jusqu’au bout, et qui sait si la chance ne lui sourira pas à nouveau.

Son regard s’attarde une dernière fois sur ce qui fut sa plus belle demeure. Versailles était réellement une merveille. Il se rappelle les joies qu’il avait partagées avec sa cour dans les jardins de Le Nôtre. La France serait-elle devenue antimonarchiste ? cela ne se pouvait. L’histoire de ce pays était liée à sa royauté ; indissociables et complémentaires, elles avaient fait la grandeur de ce fier état. Pourtant, quelque chose était en train de changer dans le royaume, quelque chose qu’il redoutait pour ne pas avoir été préparé à l’affronter. La colère d’un peuple las et exsangue était un ennemi qu’il valait mieux ne pas mésestimer.

Les cahots du carrosse sur la route le ramenèrent à la réalité. Il fuit son giron, sa ville, la laissant à des hordes de sauvages assoiffés de colère et fatigués de revivre l’aube d’une nouvelle guerre. De son tréfonds sourde un sentiment d’impuissance et d’injustice ; pourquoi lui , en quoi avait-il mal agi ?

Une larme perle de son œil droit pour se perdre dans les commissures de ses lèvres. Au passage, elle purifie la peau de Louis de tout ce maquillage devenu désormais inutile. On ne peut éternellement se cacher de la vérité sous un masque poudreux ; l’exil a quelque fois le goût salé de l’amertume…

 
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Vous pleurez mon cher ; essayez de vous contenir, enfin, voyons, tseuu……Une larme versée par le roi et c’est tout le peuple qui pleure son chagrin.

 

C’est la première fois que Marie Antoinette se montre un tantinet compréhensive avec le roi ; comme si elle aussi se rendait compte de l’importance de la situation. Il se détourna de son regard inquisiteur et se perdit dans la contemplation de son plus fidèle compagnon. Toinette profita de ce moment pour sortir une gourde d’eau de vie et en but presque la moitié.

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- Toi, tu me comprendras toujours, n’est-ce pas Titouf ? déclara sa seigneurie.

 

Ledit Titouf se tenait séant sur un coussin de velours brodé de fils d’or. Des falbalas verts lui poussaient sur la tête et ses touffes de poils compactées en épis le faisaient ressembler à une palmeraie. Le chien ouvrît la gueule, esquissa un semblant de sourire et laissa apparaître, à qui le voulait, l’état délabré de ses canines noircies par une alimentation trop riche en sucre. Il ruminait, pour l’heure, les chairs des cailles aux raisins dont il s’était sustentées lors des agapes royales de midi. En fait, celles de onze heures et quart pour être précis, car il avait eut faim assez tôt aujourd’hui ; le casse-croûte de dix heures n’ayant pas suffit à combler la faim naissante de l’après petit déjeuner de neuf heures.

Avec sa langue, il essayait vainement de déloger le reliquat de son festin.

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- Diable !, quel fumet ; même quatre heures après le repas, cela fleure encore bon le gibier à plume et le calendos bien coulant. Terrible aussi ces îles flottantes avec cette crème anglaise ; la seule chose que ces ploucs d’angliches savent faire correctement, pensa le petit chien en se léchant le truffe pour apprécier jusqu’au bout les effluves qui se dégageaient de sa gueule.

L’ennui avec les volailles, remarqua-t-il, c’est que les lambeaux des chairs restent coincés entre les crocs, et ce à plus forte raison lorsqu’on en a plus que deux. Lourd tribu à payer pour qui veut consacrer sa vie à la carrière difficile de fin gourmet et gros gourmand sous la royauté.

Lui qui était reconnu par ses pairs comme étant un fervent défenseur de l’art culinaire, membre honoraire de la confrérie de Vatel et Grand Chambellan du boudin noir, lui qui supportait sans difficulté la comparaison à Gargantua, ne comptait plus le nombre de fois où il avait été malade.

Le pauvre petit est tellement perfectionniste qu’il ne faisait pas seulement goûter les plats, encore fallait-il qu’il les dévore jusqu’à la dernière miette, jusqu’à la dernière substance qui eut quelque forme ou quelque arôme appétissant. Combien de galettes de vomi avait-il laissées là sous un tapis, une armoire ou au détour d’une alcôve du château ? combien de nuits avait-il passées à se morfondre en pensant à la cuisson parfaite pour des œufs cocotte sans pouvoir dormir ? combien de temps passé à se gaver d’ail pour se purger des lourdeurs d’estomac dont-il souffrait quotidiennement ?

Seulement voilà, cette chose, cet être, ce chien adorait son travail. Il se surpassait à chaque fois, repoussant à chaque festin les limites de la beuverie et reculant l’ultime échéance où il vomirait lamentablement sous la table des grands de ce monde.

Oh, il avait un public admiratif, c’était certain. L’estime et la considération qu’on lui témoignait l’élevaient au rang de dieu vivant. On se pressait à sa table, on faisait la queue toute la journée avec l’espoir fou d’apercevoir le génie, le prodige. Tout le monde l’adulait en le voyant jouer la scène de la cène, certains allaient même jusqu’à vouloir l’ordonner pape.

En ruminant tous ses souvenirs qui s’évanouissaient au fur et à mesure qu’ils quittaient Versailles, le roi sentit la pitié l’envahir; l’animal stigmatisait parfaitement l’importance de l’apparence au sein de sa cour. Tant de faux-semblant, tant de choses gâchées…

Tout n’était qu’illusion, tromperie et fourberie. Dieu ait pitié de nous se dit Louis, faut-il que nous soyons à ce point corrompus par le superficiel et la futilité.

Le roi enleva les élastiques des nœuds de couleur disséminés selon le rituel de l’étiquette royale sur tout le corps du malheureux canidé.

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- Tiens pauvre clown, je te rends ta dignité ; ce faisant, il libéra les poils du chien. Marqués par un pli dont-ils n’avaient jamais été affranchis, ceux-ci restèrent statiques.

 

Titouf ressemblait à une pelote de laine que l’on aurait fixé sur un support en carton avant de la couper en deux. Le cocasse de la scène ralluma un sourire éteint sur le visage royal. Louis se prit à rire à nouveau. Les nerfs du suzerain étaient à vif, et son rire se transforma en une vraie crise de folie, il riait à gorge déployée sans pouvoir se retenir. Bientôt sa figure pâle devint aussi rouge qu’une tomate. Il se roula sur le plancher du carrosse qui l’emportait loin de Versailles.

Titouf n’appréciait pas que l’on se moque ainsi de sa personne ; mince alors, lui qui avait toujours été plein de sollicitude envers la royauté, et voici que, délibérément, cette grosse godiche joufflue et ventripotente vêtue d’un manteau de zibeline trop grande pour elle se moquait de lui.

 

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- C’est l’hôpital qui se fout de la charité pensa  le petit chien.

 

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Tu t’es vu face de crapaud avec ton maquillage de damoiselle ?, ma pauvre fille, t’as plus qu’à te faire embaucher par la troupe de Molière, il y aurait bien un rôle pour toi dans les femmes savantes pauvre tartuffe. Avec ta sale tronche, tu pourrais passer sans problème une audition pour jouer l’idiot du village.

Marie Antoinette faisait tout ce qu’elle pouvait pour garder son sérieux ; en fait elle hésitait entre la colère et le parti pris de son mari.

Son regard croisa celui de Titouf. Elle ne l’avait jamais vraiment apprécié, mais en le regardant de plus près, elle prit conscience du comique qu’il dégageait avec ses grandes touffes de poils, son regard divergent, ses chicots noircies et ses oreilles tombantes. L’alcool aidant, elle non plus ne put contenir son rire et vint rejoindre son royal époux sur le plancher du chariot, et bientôt, sans raison aucune , elle imita la vache en meuglant à l’envi avec son mari.

La monarchie se prosternait aux pattes de l’empereur du rire et implorait grâce.

Pour Titouf, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Il laissa les deux limaces baveuses se gausser sur le plancher et regarda plus attentivement le paysage. Dans la nuit qu’ils parcouraient au triple galop, il vit au loin des lumières annonciatrices d’une quelconque bourgade. Une idée germa dans sa petite tête.

Au bout de quelque temps, ils parvinrent à Varennes. Les têtes couronnées purent, au prix d’un ultime effort, retrouver un peu de contenance et se rassirent.

Leur cocher avait décidé de faire une halte dans cette ville pour changer de chevaux. La route s’annonçait longue pour quitter la France.

Titouf ne l’entendit pas de cette façon et mit son dessein de vengeance à exécution ; il commença à aboyer, d’abord tout doucement, presque un murmure, puis de plus en plus fort. Ses aboiements devinrent des pleurs atroces, on eut dit des cris sortant d’outre tombe, chargés de la peur viscérale des hommes pour ces hurlements des nuits obscures. Un cochon face au surin n’aurait pas réveillé plus de monde cette nuit à Varennes ;

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Mais Loulou fait le taire, il va nous faire repérer ! ! ! s’écria Toinette rendu plus familière par la tranche de rigolade qu’elle venait de se payer.

 
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Titouf, chut, chut mon mignon ; si tu te tais, tu auras un chateaubriand bien saignant comme tu les aimes.

 

L’offre était tentante, mais Titouf tint bon et fit taire ses instincts boulimiques. Il reprit de plus belle avec encore plus de conviction :

 
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OUHAOUAOOUU HOUU HOUU ! ! !…

 
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- Chut mon doux ami, je t’en conjure, nous courrons à notre perte et toi avec.

 

Le chien marqua un temps d’hésitation. Il fit rapidement le point sur son passé ; aucune objection n’émanant de sa conscience , il en était dépourvu, il couina comme les madeleines de Proust et provoqua la chute de la monarchie. Le roi et la reine, ivres comme pas possible, restèrent affalés sur le plancher sans plus pouvoir bouger.

Drouet, maître de poste de Sainte-Menehould, alerté autant qu’apeuré par les cris provenant du carrosse décida d’agir. Il réunit une petite escouade d’hommes armés, et accompagnés d’un prélat, ils se rapprochèrent du carrosse. Quelques lampées de gnôle leur donnèrent le courage d’affronter le diable qui se terrait dans le chariot ; en bon croyants qu’ils étaient, ils se signèrent et donnèrent l’assaut.

 

Lorsqu’il ouvrît la porte, Drouet eut la vision d’un petit être informe. La bête hirsute, hurlait à la mort et mordait dans le vide les personnes qui lui faisaient face sur la banquette opposée. A la lueur d’une lanterne, Drouet éclaira l’intérieur de l’habitacle.

Tous reconnurent le roi Louis XVI accompagné de la reine Marie Antoinette.

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Ben dame, ça par exemple, la royauté qui joue les hôtesses de l’air.

Ce ne fut pas tant le roi qui détermina la suite des événements, mais plutôt l’état qu’inspirait Titouf.

 
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- Si c’est pas honteux de s’attaquer à une pauvre bête comme ça ! s’exclama Drouet. Regardez son ventre, il est gonflé comme c’est pas permis, on dirait un ballon de baudruche. Ils ont du le gaver jour et nuit. Pauvre petit ; t’en fait pas mon mignon, ton calvaire est fini, mais le vôtre ne fait que commencer mes gaillards.

 
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Mais enfin, c’est pas nous, c’est…

 
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Silence, c’est une honte, vous allez le regretter, je vous le dis.

21 janvier 1793, l’histoire a fait le tour de la France entière.

La Convention, émue par le triste sort du petit animal, en fit un héros et Titouf devint le libérateur du joug de la tyrannie et des frasques de la royauté. Il est désormais le berger d’une démocratie naissante dans le pays du calendos qui coule autant qu’il pue.

Ce jour où la tête de Louis va tomber de son cou, Titouf est dans l’assistance. Il est porté sur un bouclier par de gros bras comme un de ses ancêtres gaulois. De là, il domine toute la situation. Il a perdu ses dernières chicots en exerçant sa profession, désormais reconnue par le peuple, de gardien du patrimoine culinaire de la France.

Investi d’un grand pouvoir, il est le plénipotentiaire qui détermine la ligne de conduite à tenir face à l’envahisseur anglais et sa maudite crème à laquelle il a bien du mal à résister. Heureusement que la France a encore du bon picrate et du fromage de caractère, sinon Titouf aurait repris ses anciennes fonctions au service de sa gracieuse majesté. L’office royal paye bien dans le Yorkshire lui a-t-on fait savoir.

En attendant, c’est la liesse générale. La populace s’amuse de voir Louis sur l’échafaud ; pas toujours les mêmes après tout. La foule en délire scande le nom de son nouveau Noé. Titouf est tellement apprécié par le peuple qu’il se permet de blaguer avec le public. Tous reprennent le leitmotiv qui se rattache à sa personne.

 
bulletCombien qui reste de crocs dans le clapier à Titouf ? et le peuple de reprendre avec le bourreau :
 
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Eh trois, et deux et un zéro ! ! ! puis à l’unisson, les gens lèvent les bras au ciel. Louis, du haut de son échafaud, ne peut s’empêcher de remarquer la similitude de la scène avec une déferlante de vagues.

 
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Oh, que c’est joli vu d’en haut ; ça pourrait faire un spectacle chiadé, sûr que la Marie Toinette elle aimerait.

Il n’a pas le temps de penser à la suite que la vague arrive sur lui et son visage est tout autre à présent ; elle a le visage de la mort. Il n’entend plus les bruits que fait la foule. Tout se déplace au ralenti à présent. Les flots se rapprochent de lui et de son bourreau. Louis le voit, ce crétin, prendre part à l’euphorie collective. Il devine son sourire béat de pouvoir communier pour une fois avec tout ces gens qui d’habitude le repoussent.

 

La charge qu’il occupe le force à l’isolement et au mépris des autres. Mais aujourd’hui, tout est différent, il peut enfin dire qu’il est un français, qu’il participe à un événement sacré comme rarement on en a vu, et il en pleure l’imbécile. Il en serait devenu presque touchant s’il n’avait pas eu la mauvaise idée de lever lui aussi les bras au ciel, libérant par la même la lame de la guillotine de son carcan de bois. Le couperai tombe et vient s’abattre sur le cou de sa victime.. Plus près de toi mon dieu….

La tête de Louis vole dans les airs comme un oiseau dans le ciel. Conscient quelques secondes encore après son trépas, il admire son pays et sa nation venue assister à sa mort. A ce moment précis, il aime sa France ; que c’est beau un peuple festif….

Le silence règne sur la place publique et tous lèvent à présent les yeux vers cette tête qui monte, qui monte à ne plus pouvoir s’arrêter.

Soudain Louis le voit, il le sent ; Titouf, cette bête putride, infâme félon, engeance des flammes de l’enfer et de la discorde des hommes. L’ancien roi est le seul à le voir se marrer. Sa bouche édentée dévoile une langue fourchue, il l’entend glousser comme une dinde, il sent l’odeur de la mort qui rode autour de ce serviteur des enfers.

Louis sent qu’il retombe. Il voit le sol se rapprocher dangereusement. Il tente de communiquer avec son ancien ami et sa dernière volonté se transmet à Titouf.

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Mon doux ami, si tu as une once de compassion, je t’en conjure, fait subir le même sort à la Toinette, je t’en prie, ne me laisse pas affronter seul les affres d’une éternité de solitude.

Titouf, ému par cette belle preuve d’amour jure qu’il en sera fait ainsi. Salut Louis…

C’est dans un bruit sourd et dans une gerbe de sang bleu que la tête du dénommé Louis s’écrase par terre. Le peuple de Paris salue la prouesse et un arbitre officiel homologue le nouveau record ( record que viendra battre bientôt la tête de la reine Marie Antoinette.)

Titouf vécut bien d’autres aventures où il joua un rôle déterminant. Dommage que la postérité n’ait retenu de lui que sa gourmandise et une ou deux chansons paillardes ( dont la fameuse " Titouf a une petite touffe et ri et ran pataplan "). L’Histoire de France n’attribue pas volontiers ses lettres de noblesses à celui qui fait tomber les têtes de la royauté, mais la cuisine française sait reconnaître un épicurien quand elle en tient un.

 

Fin…

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Dernière mise à jour : 05/06/05